« From Here 2020 » par Nathan Coley, « St George's Dock Pumping Station, Mann Island », Liverpool © Mark McNulty

Cette semaine, Artsper a eu l'occasion de s'entretenir avec Fatos Üstek, écrivaine et commissaire d'exposition dont l'expertise a déjà été consacrée à l'international. Née en Turquie, Fatos vit aujourd'hui à Londres, où elle a organisé certaines des expositions et biennales parmi les plus prestigieuses au monde. Nous avons été très heureux d'échanger avec elle sur son parcours, ses engagements envers la parité hommes-femmes et une plus juste rémunération dans le monde de l'art. En tant curatrice principale de la Frieze Sculpture 2023 de Londres, elle nous a aussi dévoilé en avant-première ce qui nous y attend… Bienvenue dans le quotidien passionnant de Fatos Üstek !

1. Bonjour Fatos, nous sommes ravis de te rencontrer. Peux-tu nous expliquer comment a débuté ton parcours dans le domaine de la conservation d'œuvres d'art ? As-tu toujours eu l'intention de faire carrière dans ce secteur ?

Je n'ai pas grandi avec l'art et je ne pensais pas non plus que je jouerais un rôle dans le secteur artistique. De manière plutôt traditionnelle, on s'attendait à ce que je fasse une carrière d'ingénieur, et j'ai donc étudié les mathématiques. Néanmoins, l'un des fils conducteurs de ma vie a toujours été mon enthousiasme et ma curiosité pour le monde, en particulier mon goût pour la littérature et la philosophie, qui s'est ensuite étendu aux arts visuels au cours des dernières décennies.

Au début de mes études universitaires, j'ai commencé à m'intéresser à la photographie, aux arts visuels et aux arts du spectacle. Ces centres d'intérêt se sont accentués lorsque j'ai commencé à assister divers festivals à Istanbul et à travailler pour des galeries et des institutions artistiques - qui n'étaient alors qu'une poignée.

2. Tu as conseillé des institutions artistiques internationales, publié des livres très appréciés et organisé des expositions dans le monde entier. As-tu un projet préféré à ce jour ?

Cela peut sembler un peu facile, mais chaque projet auquel je participe compte énormément. 

C'est peut-être parce que j'ai travaillé de manière indépendante pendant la majeure partie de ma carrière, que j'ai le plus souvent lancé mes propres projets ou que j'ai eu la chance de les réaliser avec un certain degré de liberté en tant que commissaire. La 10ème Biennale de Gwangju m'a permis d'élargir ma perspective sur les arts et les pratiques artistiques, le projet « fig-2 50 expositions en 50 semaines » m'a permis de générer une énorme quantité de contenu artistique et curatorial, Art Night 2017 a touché un public très large et diversifié, engageant 75 000 visiteurs en une nuit. Lorsque j'étais à la tête d'institutions, je produisais du contenu artistique qui s'accompagnait toujours d'une réflexion stratégique et d'une construction de vision pour ces institutions et même pour les villes.

C'est une longue façon de dire que je m'engage à fond dans chaque projet sans juger de son ambition et de son potentiel. J'apprends de tout ce que je fais, et j'aime réfléchir et développer mes compétences et mes capacités pour me perfectionner. Par conséquent, il n'y a pas de favoris, il y a des étapes importantes, mais je n'ai pas de liste de « best of ».

Akbank Sanat, 49ème exposition du Prix des artistes contemporains, Istanbul © Fatoş Üstek

3. Tu as récemment été nommée au poste de conservatrice de Frieze Sculpture. Que pouvons-nous attendre du programme du 20ème anniversaire de l'exposition à Londres ? 

Je développe une nouvelle vision pour Frieze Sculpture, en abordant la pratique sculpturale d'aujourd'hui avec ambition et rigueur curatoriale. Je m'intéresse à la sculpture de façon large, en engageant des artistes et des pratiques artistiques qui opposent le monumental à l'éphémère, qui incluent des aspects d'autres médias tels que le son, la lumière, la performance, la réalité augmentée et la réalité virtuelle.

Cette année, vous pouvez vous attendre à une représentation plus diversifiée des profils d'artistes, à plus de femmes sculptrices que les années précédentes, et à un large éventail de galeries participantes. L'exposition restera internationale et présentera un choix exceptionnel de pratiques artistiques.

4. Ayant été élevée en Turquie et ayant travaillé dans toute l'Europe, où te sens-tu le plus inspirée dans ton travail ? Penses-tu que ton lieu de résidence a un impact sur ta créativité ?

Le contexte est essentiel. Je pense que je ne peux pas organiser la même exposition dans différents cadres socio-politiques. Cela s'explique également par le fait que je suis un commissaire d'exposition intéressé par les concepts et que je travaille principalement avec de nouvelles commandes. Le contexte, le site et le potentiel jouent donc un rôle important dans l'élaboration des cadres curatoriaux de mes projets. Je crois sincèrement que les projets que je conçois et que je réalise ne seraient pas les mêmes si je vivais dans un autre pays ou sur un autre continent.

Pour moi, la liberté d'expérimenter est très importante. Par exemple, j'ai récemment organisé la plus grande exposition britannique de l'artiste Conrad Shawcross à l'Institut mathématique d'Oxford. Nous organisons une série de conférences pour accompagner l'exposition, qui est en place depuis plus d'un an. Elle rassemble des mathématiciens, des artistes, des philosophes, des architectes et des conservateurs. J'ai le sentiment qu'un tel niveau d'expérimentation et d'ouverture dans l'exploration des méthodes artistiques et scientifiques n'aurait été possible qu'à un petit nombre d'occasions, si ce n'est seulement pour cette exposition en particulier.

5. As-tu un artiste ou un mouvement artistique préféré ?

J'ai un penchant pour les dadaïstes et les surréalistes. Je me surprends parfois à faire des parallèles entre le début du siècle dernier et celui-ci...

Exposition « Cascading Principles : Expansions within Geometry, Philosophy and Interference », L'Institut de Mathématiques, L'Université d'Oxford, Oxford © Richard Ivey

6. Nous avons été ravis d'apprendre que tu avais cofondé une organisation appelée « FRANK Fair Artist Pay ». Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette organisation ?

« FRANK Fair Artist Pay » est née de la frustration et du besoin de changement dans le secteur de l'art au Royaume-Uni. Nourries par les confinements successifs et en phase avec les valeurs changeantes de notre époque, nous avons décidé, avec les artistes Anne Hardy et Lindsay Seers, d'offrir une nouvelle perspective au problème de la précarité économique dans le domaine des arts. 

Notre approche est différente de beaucoup d'autres dans le sens où nous nous attaquons aux fondements philosophiques et éthiques du fait de ne pas payer les artistes de manière équitable. Au lieu de proposer un nouveau niveau de rémunération, nous nous attaquons au cœur du problème et explorons les moyens de démystifier les pratiques équitables dans le domaine des arts, qui comprennent une rémunération, des contrats et des conditions de travail équitables. De nos jours où la confiance, la transparence, la solidarité, l'inclusion et la diversité sont essentielles, l'équité doit être pratiquée comme une norme. Lorsque nous construisons de nouvelles formes de collaboration, nous devons garder à l'esprit que la parité économique est un obstacle à l'inclusion, à la diversité et à l'équité.

Nous construisons actuellement un réseau de membres composé d'artistes, d'institutions artistiques, de galeries, de collectionneurs et d'organismes de financement publics et privés. Nous voulons élever le secteur et construire de meilleures pratiques tous ensemble. Pour ce faire, nous travaillons sur une charte de principes, avec laquelle nous chercherons à nous aligner sur l'ensemble du secteur artistique britannique, sur un questionnaire destiné aux artistes et aux institutions afin de les guider dans leur collaboration avec les artistes, sur un calculateur conceptuel de rémunération équitable pour les institutions et les commissaires afin de niveler l'allocation de leurs honoraires en fonction du niveau d'engagement, de travail, de temps et de professionnalisme de l'artiste.

« FRANK Fair Artist Pay » s'engage à faire évoluer les choses et, ce faisant, à collaborer avec les artistes, les institutions artistiques, les galeries commerciales, les organismes de financement et les collectionneurs. Au lieu d'être une autorité, nous voulons catalyser ensemble les changements qui s'imposent depuis longtemps dans le secteur artistique britannique.

7. Enfin, quels conseils donnerais-tu à quelqu'un qui souhaite faire carrière dans la conservation de l'art contemporain ou dans l'industrie artistique au sens large ?

Je donne des conférences dans divers collèges et universités au Royaume-Uni et en Europe. Aux étudiants en conservation d'art, je demande toujours d'identifier ce qu'est leur conversation, leurs valeurs et avec qui ils veulent s'associer.

Une fois que vous connaissez ces trois réponses, vous pouvez poursuivre n'importe quelle carrière.