Thierry Wurmser

"Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme." C'est ainsi que commence un de plus beaux poèmes des Fleurs du Mal de Baudelaire : l'homme aime la mer car il y reconnaît une image de soi, de sa vie, qui est mouvement continu, tantôt violent et inquiet, tantôt serein et tranquille. Dans l'immensité marine, dans son insaisissable beauté, se reflète le perpétuel écoulement de l'être et de la nature. 

Ces pensées surgissent spontanément en regardant l'activité picturale de Thierry Wurmser, dont la recherche se nourrit d'un sincère élan lyrique, capable d'engendrer des images abstraites, allumées et chauffées d'une vie qui est en même temps celle de l'homme et du cosmos: dans ces épaisses vagues de couleurs, qui se stratifient, se pénètrent, se confondent avec une marche tantôt intense et frénétique, tantôt lente et fluide, il apparait qu'un instant transitoire de l'infinie transformation des choses soit éternisé. Non pas la pulsation de cette ou de quelque réalité intéresse le peintre, mais la substance même de la vie. 

On a l'impression de pouvoir saisir, dans la force hypnotique de ses vagues chromatiques, dans la vive matérialité d'une touche fraîche et spontanée, ou  dans certaines concrétions de couleurs, la nature même dans ses processus primordiaux et millénaires: le miracle des merveilleuses rayures des pierres fruit d'un très long travail géologique, la magie de certains paysages glaciaux, le mystère des vibrations chromatiques et des reflets lumineux de la mer, le sublime charme magmatique des phénomènes volcaniques. C'est en restant au niveau de l'abstraction, que Wurmser peut donner à son travail une valeur cosmique et existentielle en même temps. En effet comme l'homme peut reconnaître dans la mer une sorte d'alter ego, ainsi quand nous observons la « nature abstraite » de Wurmser, nous éprouvons la sensation de regarder quelque chose qui est très proche de nous, de notre intériorité : nous apercevons ses images non pas comme entités distantes de notre âme, mais comme quelque chose qui nous appartient en profondeur et qui en même temps fait partie du monde qui nous entoure.

Au début de son activité Wurmser a représenté des silhouettes humaines ébauchées sur des fraîches couches de couleur ; figures vibrantes de matière chromatiques qui pourraient être déjà appelées abstraites : on peut déjà prévoir la recherche successive du peintre, visant à fixer sur la toile les vacillements de la conscience et de l'être.

Dans sa dernière production, des figures humaines sont réapparues : un peuple de vivaces silhouettes, giclées avec détresse, qui semblent danser dans l'air comme des papillons, ou qui nous regardent avec un aspect grotesque. C'est ainsi que naît un monde de personnages imaginaires, un monde délicat et ironique, léger et profond. Même dans ce cas-là ses tableaux ne peuvent pas se définir « figuratifs » : générées d'une touche spontanée et dynamique, les créatures de Wurmser ne sont que de subtiles incarnations d'états d'âme, se présentant au spectateur comme des traces transitoires de vie physique et psychique. Une telle étrangeté à des préoccupations mimétiques, ce lyrique abandon au rythme de l'existence intérieure, exprime celle qu'un célèbre chanteur français, Souchon, a appelée “soif d'idéal".

Sa production la plus récente se divise en deux catégories différentes et pourtant unifiées par une recherche sur la transparence de la couleur. La première concerne la série Dolomites dans laquelle l'artiste crée des formes semblables à des montagnes aigues, qui rappellent justement les Dolomites, légères et fluides, très délicates : formes de la pensée qui établissent une équivalence avec des formes de la nature. La deuxième propose des compositions avec des figures géométriques perméables à la lumière et à la couleur – rectangles, cercles, carrés, – superposées, décalées, évidées et rythmés dans un jeu subtil et raffiné de transparences.