Paysage Espagnol, 2005
Henri Aprin

"Henri Aprin, le nom d'un artiste bien trop méconnu qui mérite d'être révélé au grand jour tant son œuvre est impressionnante, émouvante et monumentale dans sa diversité et son approche visionnaire. Affichiste et illustrateur de métier, ancien élève des Beaux-Arts d'Avignon, dessinateur de talent, il a été depuis son plus jeune âge attiré par le monde de l'Art. Depuis sa retraite, il se consacre totalement à sa peinture, en solitaire assumé et sans aucun souci de reconnaissance.

Au travers de ses diverses inspirations, il demeure un artiste engagé car profondément humain et touché par les affres de l'existence, la guerre, la résistance, la torture, le carcéral, l'injustice, la souffrance et la mort…

Son lien avec la poésie et son attachement à certaines figures de poètes comme Éluard, Apollinaire, Aragon ou encore Garcia Lorca, ses hommages à ces grandes figures, animent une grande partie de son œuvre et sont d'une véracité poignante, lourds de messages et révélateurs de son engagement spirituel et humanitaire pour un monde de paix, d'amour et de liberté.

L'hommage rendu à Garcia Lorca, le grand dramaturge espagnol, martyr de l'amour et de la guerre, caractérisé par ses empreintes de rouge sur ses cartons, à l'égal du sang qui coule dans l'arène et se fige dans la mort, et qu'il projette avec violence sur son support, nous percute et nous interroge sur la destinée humaine. Ce poète aimé qui a toujours donné une vraie tendresse pour les opprimés et les rejetés demeure une figure attachante pour le peintre qui se retrouve autour de cette bienveillance pour autrui, cette humanité qui émerge de son œuvre et de ses écritures. Cette écriture sensible et calligraphique qui s'insinue très souvent dans ses œuvres et en finalise la composition, témoigne de ce profond partage avec le monde de la poésie.

Le poète surréaliste Éluard l'émeut avec sa poésie où émerge le lyrisme, la liberté, l'inattendu et le dramatique. Il nous transcrit avec ses pinceaux et avec la pertinence d'une composition abstraite, la vision d'un homme qui porte regard sur la douleur et le désespoir humain mais aussi sur l'espoir et l'amour.

Son attachement à Jean Ferrat, un des interprètes les plus populaire d'Aragon, qui nous chante son amour pour Elsa, devient figure familière pleine de tendresse. Le portrait du chanteur figure au beau milieu de son atelier comme le porte-parole de ce grand poète qu'a été Aragon.

La belle Elsa aux yeux énigmatiques figure dans une composition aux tons chauds avec les mots d'Aragon qui résonnent et étincellent autour de ce portrait d'une douceur extrême.

La poésie et la peinture sont intimement liées dans les créations artistiques d'Aprin comme si la peinture ne pouvait exister sans les mots et les mots sans la peinture.

Ses paysages pour la plupart imaginaires ou mémoriels, souvenirs de déambulations hâtives dans la nature sauvage, sont d'un équilibre parfait avec des ciels d'orage d'une beauté exceptionnelle. Ils donnent à ses architectures rocheuses une lumière douce et interne, qui rayonne dans un univers où le noir donne puissance aux ombres et aux contrastes colorés. Sa palette faite de tonalités sombres est d'une finesse extrême et d'une belle sobriété où ses tons chauds et ses gris bleutés s'harmonisent admirablement.

L'artiste engagé qui prend parti pour la résistance contre le nazisme, veut témoigner de la violence de ce monde et porte regard sur la dramaturgie de la guerre civile d'Espagne et de cette fuite vers la liberté où il exhume le sort des vaincus, des exilés, jusqu'à l'exil intérieur, souffrance stigmatisée sur des visages douloureux qu'il nous dépeint dans une palette d'une noirceur émouvante. Puis son regard se tourne vers les déportés des camps de concentration ou encore la résistante assassinée, avec toujours des passages d'écriture de poètes engagés pour témoigner…

Proche de la peinture misérabiliste d'un Francis Gruber ou d'un Bernard Buffet, engagé dans le mouvement de la peinture sociale, il décrit l'humanité souffreteuse avec une peinture visionnaire et symbolique et explore avec intensité les thèmes de l'angoisse, de la solitude et de la condition humaine. Il est de cette manière un peintre expressionniste qui dénonce et qui heurte parfois notre sensibilité.

Sa peinture se fait parfois matière, sculpturale, rugueuse, avec l'utilisation de matériaux divers récupérés de façon hasardeuse, pour façonner et mettre en relief certains portraits comme celui de Van Gogh, sublime dans sa pureté et sa véracité ou pour son hommage à Rodin ou encore pour nous révéler les visages douloureux des exilés.

Victor Hugo parlait de fils mystérieux qui relient les êtres jusqu'au-delà de leur existence terrestre. Je pense qu'Henri Aprin est en lien avec ces âmes, peintres ou poètes disparus à qui il rend hommage avec ses pinceaux et ses matières mais aussi avec son écriture. Il est, lui aussi, un poète dans l'âme qui a le pouvoir des mots et qui nous émeut profondément par la simplicité de sa prose et de sa poésie. Il écrit autant qu'il peint, amoncellement d'ouvrages abandonnés, illustrations de livres et revues, de récits autobiographiques, de témoignages, de carnets de voyage, d'hommages aux personnes aimés comme sa grand-mère, le tout rassemblé dans un coin de son atelier, sans préoccupation aucune d'une éventuelle publication. La finalité de tout cela l'importe peu, détaché de tout but commercial, l'artiste qui peint et écrit comme il respire, de façon viscérale, avec religiosité pourrait-on dire, n'a d'autre préoccupation que celle de s'exprimer de façon instinctive, au gré de ses inspirations. Libéré du cérébral et des enjeux de la réussite et de la reconnaissance, Il demeure un homme libre, pur, sincère et authentique, de ces artistes qui se font rares de nos jours.

Henri Aprin a réalisé et offert à l'église de Chateaurenard un Christ crucifié, admirable figure religieuse qui témoigne de la souffrance dans le monde, et qu'il considère comme le sommet de son art et l'œuvre qui aura marqué sa vie, devant laquelle il nous dit humblement, « avec l'âge j'ai perdu beaucoup de mes certitudes et je regarde ce Christ avec beaucoup de tendresse ». Cette sentence nous laisse entrevoir un homme de cœur de bienveillance et d'humilité, en plus de son talent et son génie de peintre et de créateur.

Il lui arrive parfois de visiter les tombes d'artistes qui l'ont ému, peintres, sculpteurs ou poètes et de cueillir un bout de lierre ou de ramasser quelques feuilles mortes ou quelques cailloux ou coquillages, avoisinant la pierre tombale. Il repart ainsi chez lui en gardant précieusement ces reliques, souvenir d'un moment de recueillement et de pensées pour ceux qui ont quittés ce monde…mais qui demeurent pour lui immortels et surtout une belle source d'inspiration."

Monique Laidi