Jean-Paul Cleren

Fruit d’une nécessité constitutionnelle impérieuse, l'activité créatrice de Jean-Paul Cleren n'est jamais gratuite ou de pure fantaisie. L'artiste, qu'il veuille ou non, attache toujours une signification à son travail et il est indispensable d'aller au-delà de l'apparence pour analyser cette signification car c'est au-delà de l'apparence que l'on commence à s'interroger sur lui-même et sur les autres. Et c'est cette interrogation d’essence métaphysique qui est la vertu principale de l'art de Jean-Paul Cleren.
Comme toutes les oeuvres d'art vraiment inspiré les peintures de Jean-Paul Cleren « donnent à voir ». Elles attendent toujours de ceux qui les regardent une participation effective, n'imposant jamais une interprétation mais les suggérant toutes. Baudelaire notait que : « c'est le propre des oeuvres vraiment artistiques d'être une source inépuisable de suggestions. » Nous aimons cette peinture qui appelle notre participation exhaustive et le plaisir que cette participation procure.
Nous aimons aussi la peinture de Jean-Paul Cleren pour son élégance, l’élégance étant comprise comme une attitude mentale qui tend à transformer la réalité en un esthétisme de conventions rappelant l'idéal des maniéristes qui, au hasard des différentes époques de la peinture et de leurs techniques diverses, surent rester fidèles à ce refus du réalisme qui leur permet de traiter les sujets les plus équivoques, voir les plus scabreux, sans jamais tomber dans le sensualisme ou la vulgarité.
La perfection nacrée de ces femmes impassibles nous retient, nous sécurise. Nous la croyons sereine, nous avons l'impression de la reconnaître, nous nous fions à elle, nous la contemplons sans méfiance. Là est le piège, le miroir aux alouettes : nous serons bientôt les jouets de cette tranquille apparence, il n'est pire eau que l’eau qui dort et nous allons comprendre à nos dépens que cette beauté aux allures rassurantes ne s'est immiscée dans notre quiétude que pour mieux la mettre en échec, la ravager.
Il ne saurait être question ici, en dépit des nombreuses rencontres que nous avons faites au cours de cette brève étude, d'affilier Jean-Paul Cleren à une école quelconque. Toutes ces rencontres sont subjectives, fortuites et l’esthétique du peintre aussi bien que son propos sont les siens propres.
C'est pourquoi nous ne tenterons pas non plus de définir quels furent ses maîtres spirituels car malgré la chance qui lui fût donnée de pouvoir approcher très jeune les célébrités littéraires et artistiques de la France des années 1960, Jean Cocteau, Marie-Laure de Noailles, Dali, Marx Ernest, et tout ouvert qu'il fût à l'apport culturel et aux conseils éclairés de cette élite intellectuelle, Jean-Paul Cleren ne subit jamais vraiment l'influence de personne et doit être présenté comme un autodidacte.
Certes, il fréquenta longtemps les académies de peinture et la remarquable assurance de sa technique suffirait à le prouver si besoin était, mais ce qu'il est, avant tout, c'est un spécimen de cette race de « gladiateurs » dont parlait Flaubert à propos des artistes, car ils luttent toujours contre les modes et les académismes quels qu'ils fussent.
Comme tout véritable créateur, c'est d'ailleurs surtout contre lui-même que le peintre doit se battre, lutter, s'il ne se trouvait, au sens existentiel du terme, et nous sommes les spectateurs émerveillés de ce combat qu’Ingres exaltait : « ce n'est qu'en combattant que l'on acquiert quelque chose et, dans l'art, le combat c'est la peine que l'on se donne. Ce que l'on sait, il faut le savoir l'épée à la main ».
Jean Pierre Vaguer