Magic Flip Flop, 2023
Foucaud Stéphane

Dans un village de brousse Néo-Calédonienne, des enfants essayent d'échapper à leurs " devoirs" notamment celui d'aller à la messe. Ils enterrent les claquettes de leur génitrice qui s'en sert pour les raclées. Ils se rendront compte que leur mère détient des pouvoirs magique rendant difficile toute évasion et toute dissimulation. En voici l'histoire complète:

                    « L’astiquage » était chose courante durant mon enfance néo-calédonienne. Le châtiment corporel, nos parents le pratiquaient sous les yeux du personnel de direction des établissements scolaires, fraîchement arrivé de métropole, ce qui les faisait réfléchir à deux fois avant de convoquer nos géniteurs pour nos méfaits. 

Abonnés à ce service gratuit avec mon frère et ma sœur, nous enfilions rapidement des couches successives de pantalons, si le timing le permettait, avant de prendre des coups de claquette. Nous feignions alors des cris de goret qu’on égorge. Camille, la petite dernière, courait parfois autour de la table dans un flot de « Aaaah ! » interminables, avant même que ma mère ne sorte son arme destructrice. Le tir ajusté ne nous épargnait pas en cas de fuite, le missile en caoutchouc nous atteignait même à des distances insoupçonnables. Notre mater dolor aurait à coup sûr remporté le concours de lancer de claquette de la foire annuelle. 

Nous étions la seule famille sans télévision, nous ne manquions donc pas d’imagination pour faire « des tours de cons » comme le dirait notre voisine, dont le langage châtié imprimait des dégradés du rose au rouge sur le visage du curé. Son dernier scud ajouta par ailleurs une gamme colorée à l’homme d’église, dont la soutane, tachée au charbon et au mauvais endroit, lui valut un : « C’est en guise de pénitence que vous vous foutez le feu au cierge l’abbé !? », devant toute une assemblée éberluée. 

C’est dans cet univers paroissial que nous fomentâmes notre dernière opération coup de poing, en pleine messe. Jean-Yves, l’aîné, avait confié un énorme scarabée à Camille, depuis la dernière rangée de bancs de la nef sur laquelle nous nous tenions. Elle devait infiltrer l’insecte jusqu’au bas-côté opposé. 

La cible, madame Filioleata, portait une longue robe rasant le sol, cela supposait que le coléoptère se dirigeât vers son entre jambe pour s’extirper du piège en coton. Notre petite sioux en mode furtif se débrouilla à merveille. Manque de chance : la fin de la prière s’annonça et c’est en se rasseyant que madame Filioleata, soulevant le rideau de sa robe, laissa s’enfuir le coléoptère dans un lourd vrombissement. 

Mon frère commanda que l’on abandonnât la mission, alors que je lui faisais signe de lâcher l’hélico de secours. Il chercha maman du regard, nous étions pourtant hors de portée de l’autel où elle chantait avec sa chorale.  C’est au moment où j’implorais le seigneur de déclencher une animation imprévue que réapparut notre scarabée. Il s’engouffra mollement sous les affaires de notre chère voisine à la quatrième rangée. Notre hélicoptère de combat frappa pendant le psaume 23, le curé fut coupé dans : « Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort… » par un tonitruant : « Bordel ! ». Magda tenait déjà le coléoptère éclaté dans sa main, l’ayant extirpé vitesse grand V de la vallée de l’ombre. Habitués à cette personnalité haute en couleur, les ecclésiastes et les fidèles pouffèrent de rire. Puis la chorale entonna promptement un salutaire Ave Maria afin de récupérer les brebis égarées. 

À la sortie de la messe, les railleries et rigolades se libérèrent, surtout chez le vieux Baptiste, qui imitait le scarabée à l’agonie. Mais nous fûmes vite rattrapés par l’ombre de la mort. Tandis que l’hélico de réserve se carapatait de la poche de mon frère, sous l’œil du Terminator, nous nous faufilâmes entre les villageois car maman venait de comprendre.  Papa nous fit gagner du temps en tentant un geste désapprobateur. Il retira cependant très vite sa main posée sur l’épaule de sa femme, celle-ci s’armant de sa claquette au même instant. Nous n’eûmes pas le temps d’atteindre les bosquets derrière la bâtisse qu’une première claquette atteignit la nuque de Jean-Yves, entraînant Camille dans sa chute. La deuxième s’écrasa sur ma joue, tandis que je fus pris à revers lors d’une subite tentative de changement de direction. 

Puis, un jour, après discussion avec le Paternel, notre génitrice nous convia dans la cuisine, sa claquette terreuse posée, telle une relique, sur la toile cirée de la table. Nous venions de l’enterrer par vengeance mais elle fut exhumée par ce traître de Croquette, le chien de la maison. Un de nos aïeuls, nous confia la cheffe de famille, s’était embarqué pour l’Australie en 1865 et avait vécu avec des Aborigènes, dont il avait appris tous les rites, après avoir terminé son contrat dans les plantations. Doué pour la chasse, on l’avait intronisé « Boomerang’s King ». Ce don pour les armes au lancer s’était transmis de génération en génération, jusqu’à maman. 

Notre guerrière, nouvellement accroc aux télénovelas, s’apaisa avec le temps, l’écran magique gagné à la tombola venant de s’imposer dans notre foyer. « Encore une magouille ! » avait pesté la voisine, tandis que notre benjamine prenait la relève en devenant championne territoriale du lancer de claquette.