Anne-Marie Grgich

L'art d'Anne Marie Grgich se nourrit et se renforce par l'accumulation. Elle accumule image après image. Parfois des mots sur des mots. Depuis une vingtaine d'années, le collage est l'architecture principale d'une œuvre d'Anne Grgich. Au début du siècle, les éléments collés servaient souvent de superstructure de base ou de fondation pour des figures peintes iconiques. Ces images étaient scellées dans des couches complexes de résine et de peinture qui créaient des profondeurs énigmatiques, au sens propre comme au sens figuré, en figeant et en obscurcissant ce qui se trouvait en dessous. Le collage et les lignes et formes peintes existaient dans une sorte d'interrelation facile. Un sens visuel émergeait de cette interaction. Lors d'une visite à Sydney en 2009, l'artiste a réalisé deux très grandes œuvres qui consistaient presque entièrement en des éléments collés tirés de posters et de guides d'événements illustrés. Ces "femmes-serpents", qu'elle a peut-être considérées comme n'étant pas tout à fait terminées à l'époque, ont en fait été la base d'une esthétique émergente dans laquelle le collage a pris le dessus et s'est affirmé comme le principal véhicule expressif d'une grande partie de son art par la suite.

Anne Grgich est née à Los Angeles en 1961, mais elle est devenue plus ou moins originaire de la côte nord-ouest de l'Amérique, ne s'éloignant jamais longtemps de l'axe Portland-Seattle qui a produit une veine riche, fascinante et très particulière d'art, de musique, de récit et de cinéma depuis un demi-siècle environ. Elle a commencé à faire de l'art spontanément à l'âge de quinze ans, en dessinant subrepticement sur les pages des livres pris sur les étagères de la bibliothèque familiale. À partir des pages profanées de ces premières incursions dans l'art, elle a commencé à démonter des livres à la recherche de matériel de collage et à construire ses propres livres. D'une manière ou d'une autre, le livre est l'épicentre même de sa pratique artistique (un premier article de Rose Gonnella sur ses livres a été publié dans Raw Vision 22, 1998). Ses livres d'artiste, uniques en leur genre, sont très physiques. Les pages peuvent être aussi épaisses que des planches. Parfois, leur profondeur littérale est due au processus de superposition qui constitue une grande partie de son travail. En conséquence, ses livres sont souvent bombés et semblent sur le point de faire éclater l'amarrage de leur reliure faite maison. Ils sont donc à la fois très présents et étrangement fragiles. Tourner les pages d'un livre d'Anne Grgich est une expérience intense. Une image après l'autre, merveilleuse, se révèle accompagnée le plus souvent de craquements, de collages et d'une résistance générale de l'objet à être vu. 

Le parcours artistique d'Anne Grgich a réellement commencé vers 1981, après une sorte d'épiphanie imposée par un terrible accident de la route et les vagues de séquelles physiques et psychologiques qui ont suivi. L'accident l'a laissée dans le coma pendant un certain temps, d'où elle est sortie déterminée à poursuivre l'art avec tout son cœur, avec une mémoire brouillée et une sorte de retour à l'enfance d'où elle a dû recommencer le voyage de sa vie. Elle m'a un jour décrit ce sentiment de cette manière : "J'étais devenue naïve, mais je me souvenais aussi de certaines choses, et j'étais toujours la même personne. Je n'avais plus que ma mémoire dans le cycle de rinçage de la machine à laver - que l'on pourrait appeler la roue de la fortune". Je mentionne ces choses avant tout parce que le mélange de la mémoire et de l'expérience que Grgich a vécu est, de manière très réelle, la façon dont le collage fonctionne entre ses mains, à savoir en rassemblant des fragments disparates du monde des images et des mots, qui sont ensuite réassemblés, fixés et préparés pour être réinterprétés. La nature relativement arbitraire de la collecte et du placement des images dans la création de collages reflète les techniques automatiques surréalistes, conçues pour contourner le contrôle des niveaux de conscience rationnels et utilitaires afin de révéler (selon les surréalistes) une signification plus profonde.  

- Colin Rhodes