Kyle Ring

Dr. Kyle Ring est lea créateur·rice du compte Instagram @in.hair.itance, actuellement suivi par plus de 92 000 personnes. Le but de son compte ? Célébrer la diversité des cheveux dans les cultures non-blanches et promouvoir les cultures qui ont vu leur histoire, et notamment leurs traditions autour de la coiffure et des cheveux, effacées pour rentrer dans le cadre dit “normal". Kyle Ring discute avec nous des motivations derrière son compte Instagram, du lien qui existe entre les cheveux, la race et l'art, et de la façon dont les plateformes visuelles telles qu'Instagram créent un espace pour ce type de dialogue.

1. Bonjour Kyle ! Tu es la personne derrière le compte Instagram @in.hair.itance. Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi et sur ton compte ?

Bonjour Artsper ! Je suis originaire de Londres, au Royaume-Uni, où je travaille comme médecin spécialiste du VIH et de la médecine génito-urinaire. Je suis vraiment passionné·e par la lutte contre l'inégalité sous toutes ses formes, qu'elle soit liée aux services de santé, à la représentation dans les médias ou même aux droits humains fondamentaux. Je poursuis actuellement un master en études postcoloniales à la SOAS pour approfondir mes études dans ce domaine, et j'ai récemment été nommé·e administrateur·rice de l'association caritative LGBTQ+ Stonewall. Mon compte Instagram @in.hair.itance a pour but de raconter l'histoire des personnes de couleur en matière de cheveux et de coiffure. La majorité des plateformes médiatiques mettent l'accent sur les types de cheveux nord-européens ou « blancs », créant un faux récit selon lequel il s'agit de la « norme ». Tout ce qui ne correspond pas à cette norme est considéré comme « différent » et par conséquent finit par être effacé. Mon compte cherche à célébrer ce qui est en fait une histoire riche et diverse de la culture capillaire à travers le monde, qui englobe des aspects sociaux, spirituels et politiques complexes de notre histoire.

2. Pour faire suite à la question précédente, qu'est-ce qui t'a poussé·e à créer un tel compte ? 

Mon compte est vraiment né pour combler un vide. Au cours de mes recherches, je suis tombé·e sur de vieilles photographies en ligne, puis sur des cartes postales vintage avec des images similaires. Elles avaient été créées à l'époque coloniale par des photographes européens qui avaient voyagé aux confins de l'Empire à la recherche de l'exotique. Ces images montrent des personnes locales ou des « types », en mettant l'accent sur des aspects de leur physique, tels que les cheveux ou les traits du visage, ou même sur leur nudité, dans le but de souligner leur soi-disant « primitivisme ». Cependant, malgré l'intention originale derrière leur création, il y a une beauté dans beaucoup de ces visuels, et une trace de notre histoire que l'on pensait perdue. J'ai fait des recherches sur les images, sur l'histoire des coiffures et leur signification, et j'ai décidé de les partager sur mon compte. Nos ancêtres étaient créatifs, innovants et pleins de ressources, et mon compte tente de mettre en valeur ces qualités. Il permet de tirer ces images historiques de l'ombre et de les sortir de leur contexte raciste d'origine. Je les place dans un cadre différent qui permet de redonner de la dignité au sujet de la photo, tout en inspirant et en éduquant les gens d'aujourd'hui.

La compte d'Instagram de Kyle Ring, @in.hair.itance, qui célèbre la diversité des cheveux dans les cultures non-blanches

3. Peux-tu nous dire où se trouve, selon toi, le point où se rencontrent les cheveux, la race et l'art ?

Les cheveux sont un élément central de l'identité de nombreuses personnes. Ils communiquent aux autres de multiples aspects de ce que nous sommes : nos ethnies ou groupes raciaux, nos croyances religieuses ou spirituelles, voire notre âge ou notre position dans la société. De nombreux artistes se sont inspirés de leurs cheveux pour créer des œuvres d'art. Les sourcils iconiques de Frida Kahlo constituaient déjà en eux-mêmes un défi aux représentations occidentales de la féminité, et un signe de fierté ethnique. Elle portait aussi souvent ses cheveux en tresses lacées de rubans de soie, un style mexicain traditionnel antérieur à la colonisation espagnole. Les cheveux peuvent être un puissant symbole de défi et de fierté ethnique. L'emblématique coiffure afro a défini le Black Power dans les années 1970 et est encore régulièrement représentée dans les œuvres d'art aujourd'hui. Elle est à la fois un clin d'œil à ce mouvement influent et une manière de défendre les cheveux naturels. Les artistes insufflent souvent de multiples aspects d'eux-mêmes et de leurs identités à leurs œuvres. Il n'est donc pas surprenant que la race et les cheveux soient souvent associés de manière si puissante dans l'art. 

4. En tant que curateur, tu te concentres généralement sur l'imagerie historique... cela reflète-t-il ta propre collection d'art ? Quelles sont tes œuvres préférées parmi celles qui se trouvent chez toi ?

J'aime l'imagerie historique, mais mon intérêt artistique principal se concentre sur le portrait, et la façon dont certains portraits utilisent la pose, la tenue, le fond et les objets pour communiquer au spectateur des aspects de leur identité ou de leur personnalité. L'une de mes œuvres d'art préférées est une reproduction d'un portrait de l'artiste Gee Horton, basé à Cincinnati, qui dessine dans un style hyperréaliste à l'aide de fusain et de graphite. Ses portraits mettent l'accent sur l'identité noire et les cheveux afro-texturés d'une manière vraiment magnifique. Je possède également une collection de masques en bois provenant de différents pays que j'ai visités, notamment l'Inde, l'Afrique du Sud et Hawaï. J'aime réfléchir à la manière dont nos ancêtres vivaient leur propre identité et étaient capables d'adopter d'autres traits, de devenir des personnages, grâce aux rituels et aux cérémonies qui faisaient partie intégrante de leurs sociétés. 

La collection de masques africains de Kyle Ring /  Une édition de 'Black On Both Sides' de Gee Horton

5. Quels sont les artistes contemporains et les moyens d'expression qui attirent actuellement ton attention ?

Je suis un grand fan de la nouvelle génération d'artistes noirs qui repoussent les limites du portrait et des représentations visuelles des corps noirs à l'ère moderne. Parmi mes préférés figurent Toyin Ojih Odutola, Kajahl, Kehinde Wiley et Zaneli Muhole. L'une d'entre eux est Renluka Maharaj, une artiste trinidadienne qui travaille à partir de portraits imprimés de travailleurs indiens. Ces derniers avaient été importés et placés sous contrat pour travailler dans les plantations de sucre et de cacao après l'abolition de l'esclavage au XIXème siècle. Elle donne vie à ces images en noir et blanc en peignant leurs vêtements et leurs bijoux avec des couleurs vives et des motifs, ce qui donne un effet vraiment stupéfiant. À l'instar de mon travail avec @in.hair.itance, elle parvient à placer ces images coloniales dans un cadre nouveau. Ainsi, elle nous permet (je suis un·e descendant·e de ces ouvriers) de les apprécier aujourd'hui sous une forme différente. 

6. Quelle direction penses-tu voir prendre le monde de l'art à l'avenir ? Et quelle direction veux-tu donner à ton travail ?

L'avenir du monde de l'art est si difficile à prédire, mais je crois que l'art est toujours à l'avant-garde de la pensée et de l'expression humaines. Il doit nous encourager à remettre en question les normes culturelles et doit ouvrir la discussion et le débat. J'espère que le monde de l'art occidental continuera à évoluer, et s'éloignera des gestes symboliques pour se diriger vers une véritable représentation et inclusion des personnes marginalisées. Dans le cadre de mon travail personnel, je souhaite créer et diriger une exposition photographique pour explorer certains des thèmes abordés sur mon compte @in.hair.itance, en mettant l'accent sur la diversité et l'expression des cheveux aujourd'hui. Je suis en train de discuter d'éventuelles collaborations à ce sujet et je verrai comment les choses évoluent. J'ai également l'intention d'écrire un livre et j'ai récemment signé avec un agent littéraire - alors surveillez ça de près !

7. Quel est le conseil que tu donnerais à quelqu'un qui, comme toi, est témoin d'un espace d'exclusion dans le monde de l'art et qui souhaite entamer un dialogue ?

Les espaces en ligne ont vraiment changé la façon dont les gens partagent du contenu créatif et aboutissent souvent à la croissance organique de communautés partageant des intérêts communs. Le manque de visibilité ou de représentation dans les espaces artistiques peut donner un sentiment d'impuissance, mais les réseaux sociaux et internet offrent un autre moyen de toucher les gens. Si vous avez le temps et les ressources nécessaires, je vous conseille vivement d'enregistrer un podcast, de filmer une vidéo pour la poster sur YouTube ou de partager votre contenu sur Instagram. Tendez la main à des institutions reconnues qui peuvent tout à fait avoir très envie de travailler avec des gens comme vous.