Présentation

“L'hallucination simple" par Roland Halbert:

La peinture de Patrick Guéguen : « art brut » ? « art ethnique » ? « art singulier » ? Quand on a prononcé ces formules magiques de la critique, on n'a pas dit grand-chose. Il y a fort à craindre que ce soient là des dénominations commodes et des classifications trompeuses qui empêchent de voir en profondeur. Rimbaud vous éclaire davantage sur ces tableaux lorsqu'il évoque l'hallucination simple : « Je m'habituai à l'hallucination simple. » (Alchimie du verbe). Et nul besoin de stupéfiants pour susciter ce regard vrillant, cette vision d'affût qui transperce les apparences et traverse les modes. Vous habituer à l'hallucination simple revient à échanger vos écrans opaques contre le microscope-télescope Hubble. Alors, commence l'atelier des dieux et se réinvente la création du monde avec l'écarquillement lyrique de l'œil plongé dans l'aquarium astral ou happé par le fourmillement de la vie terrestre.

Cette hallucination simple – jetez votre G.P.S. aux orties ! – vous dépayse à plaisir. « Le pays où l'on n'arrive jamais », c'est ici ; « le royaume de Chimérie », c'est dans le coin sans doute… « Point, ligne, plan » ? Chez Patrick Guéguen, plutôt points en mouvement brownien, lignes vibrantes comme un réseau de neurones, plans gravitationnels qui sont créés par des moyens techniques réduits au minimum : encre noire et plume Sergent-Major ; acrylique à la gamme vive et trois pinceaux 0, 2, 4 ; papier Montval 300 g. Et pourtant, vous voici alertés par le foisonnement rythmique, les filaments flottants, les triples hélices d'A.D.N., les boussoles arborescentes, les planètes de pollen, la flore tropicale et giratoire, la faune affrontée en courants telluriques… Alertés aussi par l'extrême cohérence formelle : le foyer du moindre détail électrise toute la composition finement élaborée. Reconnaissez-le : dans votre enfance à fond blanc – d'un blanc d'apparition ! –vous avez entrevu ce carnaval de « têtes », ces crânes grinçants ou facétieux, ce bestiaire enchanté d'orages magnétiques. Au plus fort de la fièvre ou du rêve, vous avez aperçu ces yeux dentés, ces bouches voyantes, ces membres tatoués, tigrés, tachetés. Et, les nuits d'insomnie ou les jours d'éveil miraculeux, vous avez frôlé ces figures primordiales qui dansent un jazz rutilant au bord du vide… Votre ancêtre d'Altamira ou de Lascaux charbonnait les mêmes bêtes difficiles à apprivoiser. Votre cousin aborigène trace encore de pareilles songlines sablées de couleurs votives. Dans 5 cm² d'une œuvre de Patrick Guéguen (au titre parfois humoristique : Le Biscotto laïque en berne, par exemple), on pourrait pister parmi la profusion onirique aussi bien la spirale native du shaman que les algues-volatiles d'Henri Matisse. Le temps, l'espace en expansion vivace retrouvent la mémoire de chacun de leurs âges. La fable, le mythe se rallument à travers l'invention minutieuse et luxuriante. Ici, un musée imaginaire vivant, qui bouscule les collections et les départements du Louvre, circule allègrement à l'air libre depuis la Préhistoire jusqu'au lendemain des siècles…

Je connais Patrick depuis dix mille ans et sa sauvagerie placide de gaucher contrarié me surprend toujours. C'est à lui que je demande tel renseignement sur un livre ancien (domaine où il a travaillé) ; c'est lui qui me donne telle référence pointue sur un peintre méconnu (Philippe Dereux) ; c'est lui qui me renseigne sur telle approche picturale hors des sentiers battus (je lui dois la découverte de Federico Zeri, l'historien des formes). C'est à lui que je ne demande rien, tout en sirotant en sa compagnie une bière Peroni « Ruban Bleu. » Bref, nous sommes amis, ce qui veut dire : nous ne parlons que d'art et jamais de politique (pourquoi tomber dans cette rhétorique de l'impuissance ?). Nous avons discuté cent fois, plan par plan, de La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino, parce que la grande beauté est un peu notre Bible visuelle et sonore, remplie d'Èves et de Noés. Ensemble, nous avions un projet artistique et voilà, c'est fait, grâce à Gérald Honigsblum des éditions FRAction et grâce à Elisabeth Givre de la galerie Gaïa.

Mon portrait par Patrick Guéguen ? Certains jours, je suis cet Aztèque ravivé de peintures rituelles, cet écorché anatomique qui rit des masques confits en conformisme, ce tourbillon de sang sous une peau à écailles de saurien. Sur ma caboche, s'est perchée cette fauvette Orphée et je sens ces deux cariatides d'élan qui me poussent entre les épaules comme des garces sexy aux seins coniques – à la Jean-Paul Gaultier – et surgissent telles deux longues colonnes d'envol. Observez à la loupe cet idéogramme japonais sur leurs biceps qui signifie : « oiseau. » Bien vu ! « Va, va, va, dit l'oiseau : le genre humain / Ne peut pas supporter trop de réalité. » (T. S. Eliot). C'est à l'art de s'en charger pour lui. Un beau jour, vous aussi, au-delà des simulacres, vous deviendrez cet inapaisable incendie de volière. Même si ça brûle les paupières, tantôt d'un halo d'effroi, tantôt d'une subtile joie solaire, habituez-vous à la rétine ardente de l'hallucination. Comme Léon-Paul Fargue l'a affirmé à propos du poète, le peintre est un chirurgien du corps et de l'âme (si vous n'avez pas d'âme, vite, vite, vite, brocantez-en une – et des plus rebelles ! – sur lucifer.com). Et ce chirurgien aux doigts d'équerre et de diapason joue avec vos nerfs, vos chairs, vos os ; il sonde, il ouvre, il greffe la moelle chromatique des formes ; il vous remplit les yeux d'aromates et d'épices pour vous gratifier d'une saison hors calendrier (réalité augmentée ?). Au fil de ces peintures fabuleusement polyphoniques et fouillées (quel que soit le format, des heures et des heures de travail d'abeille industrieuse !), creusez votre œil, aiguisez votre oreille. Il se pourrait que, dans un langage à tête chercheuse de signes denses et lucides, la poésie plastique de Patrick Guéguen vous souffle à la face l'arôme serré d'un simple haïku : Pour quelle saison, a-t-on laqué nos yeux de tant d'années-lumière ?


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