Invocation
Paris 22 février 2020 au 11 avril 2020
Karishma D’Souza crée des œuvres détaillées et minutieuses qui sont soigneusement composées et tentent de refléter le tout dans une partie, et de faire tenir l’univers sur une feuille de papier ou une toile. Les peintures sont habitées par des souvenirs, transformés en signes et symboles qui, “couche après couche, enveloppent les objets de sens multiples”. Ces éléments sont parfois attentivement répétés, comme pour être mieux enregistrés sur la toile et dans la conscience. Ils peuvent aussi réapparaître sous une forme légèrement modifiée dans d’autres œuvres, naviguant entre différents espaces picturaux, les reliant ainsi dans une narration plus large, comme des ponts invisibles.
Appréhender les œuvres comme des récits est essentiel pour comprendre le travail de Karishma D’Souza. Derrière les signes et les symboles, comme derrière des rideaux, se cachent des histoires, qui doivent être dépliées avec soin, forme par forme, sens après sens. Les peintures de Karishma D’Souza, originaire de Goa, se réfèrent souvent à la situation politique en Inde et à l’injustice sociale, en parlant de ceux qui ont été chassés de chez eux pour qu’une nouvelle usine voie le jour, des forêts éradiquées pour satisfaire les “fantômes affamés” du capitalisme avides d’industrialisation, des assassinats, des persécutions et des nombreux mensonges de la propagande officielle – “des gouttes de sang représentent les personnes tuées (des points rouges représentent le nombre des assassinés)”. D’autres récits semblent pleins d’espoir et d’harmonie, illuminés par une lumière intérieure – le portrait d’un ami, le souvenir d’une conversation, d’une fenêtre avec vue ou d’une image poétique, celle de Kabir et de ses multiples soleils par exemple. Quel que soit leur point de départ, les “histoires” de Karishma D’Souza reflètent ses expériences et transforment son processus de création d’images en art de la mémoire. Elles ne sont pas racontées pour pouvoir oublier, pour échapper, au travers d’un monde imaginaire et parfait, à la réalité décevante. Ces récits sont là pour préparer un terrain sur lequel une simple histoire peut renouer avec l’Histoire, prendre racine et devenir un mythe.
Même si les images racontent des histoires différentes, certains motifs réapparaissent et semblent interconnectés: à celui de la ‘forêt’ incarnant l’idée de croissance et de renaissance, déjà très présent dans la précédente exposition de Karishma D’Souza à Xippas Paris (Ancestors), l’artiste ajoute le motif de l’’océan’ : une source de vie et de vitalité qui permet aussi l’introspection – un voyage intérieur vers le Moi le plus profond. L’océan implique l’idée d’un certain ‘ailleurs’, d’une traversée, physique ou spirituelle, à travers l’espace ou le temps. Il déconnecte, mais permet aussi de rester lié, dans la mesure où l’on garde la capacité de regarder en arrière. En ce sens, l’image de l’océan donne l’impression de demeurer dans un entre-deux et remplit la fonction de portail. L’artiste mobilise d’autres éléments narratifs tels que les ‘rideaux’ (“Memory Holder”, “Mirror curtain: warmth and growth”), la ‘scène’ (“Ocean words”, “Clarity Conversation”) et finalement – le ‘théâtre’, renvoyant au désir d’être impliqué, d’appeler à l’action. Les images de Karishma D’Souza deviennent ainsi des lieux d’action et se trouvent engagées dans un mouvement. Une action se déploie à l’intérieur du cadre et l’œuvre se remplit d’esprits (“Hungry Ghosts: Movement Through a Forest”), de liquides (“Heart Vessels: the road take”) et de pensées (“Portals-3”).
Ce désir de l’artiste d’entrer en action se nourrit notamment du vif intérêt qu’elle porte à la littérature Dalit (la littérature des Intouchables) qui, passée sous silence par la propagande officielle, n’est pas enseignée à l’école. Les études approfondies de la littérature Dalit, les lectures de ses histoires touchantes soulèvent des questions d’effacement et d’oubli forcé. Elles incitent l’artiste à ranimer des souvenirs, à rendre l’invisible visible d’abord pour elle-même, en poursuivant les lignes directrices du mouvement littéraire Dalit selon lequel la littérature, ou toute autre forme d’art, devrait être engagée politiquement et encourager l’action. Cela semble encore plus crucial dans ses œuvres les plus récentes (ses travaux plus anciens sont, selon l’artiste, plus proches de décors). Aujourd’hui, alors qu’elles sont devenues encore plus complexes et narratives, ses peintures commencent à incarner le mouvement et l’action, elles “invoquent” – Invocation. Les œuvres fonctionnent comme des chants ou des prières: l’acte au lieu de l’objet.
Après tout, une prière, n’est-elle pas un dialogue intérieur? Et dans ce cas, pourquoi une peinture, considérée comme une prière de rédemption ou un chant, ne serait-elle pas une forme de conversation silencieuse? Pour reprendre la formule de l’artiste – “Pour partager, pour réfléchir ensemble”. “Pour mieux comprendre”. Enfin – pour se souvenir.
Karishma D’Souza (née en 1983 à Mumbai) vit et travaille entre Lisbonne et Goa. Diplômée de l’Université de Baroda, D’Souza a été découverte en Europe lors d’une résidence à la Rijksakademie à Amsterdam en 2012-2013. En 2017 elle était en résidence artistique à Skowhegan, Main, États-Unis et à Goa (Khoj Résidence Internationale).
Expositions (sélection) : Fundaçao Oriente of Fine Arts (Goa), Atelier Concorde (Lisbonne), Dapiran Art Project Space (Amsterdam), India Foundation for the Arts (Bangalore). Collections: Art Collection Chadha (KRC) (Pays-Bas), Central Museum of Utrecht (Pays-Bas), Rijksakademie Van Beeldende Kunsten (Pays-Bas).
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108 rue Vieille du Temple
75003, Paris
France
01 40 27 05 55
Détails
Karishma D'Souza
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