Peinture Abstraite

La peinture abstraite est une forme d'expression qui s'affranchit de références et de repères ancrés dans le réel, où la ressemblance n'est plus une prérogative requise, bien au contraire. La peinture abstraite est par essence opposée à la figuration, au concret, aux représentations identifiables. Mais si le sujet ne s'inscrit pas dans une vérité que l'on reconnaît de prime abord, il n'en reste pas moins un vecteur de sensations et d'émotions.

On associe la naissance de l'abstraction à la révolution picturale engagée par Vassily Kandinsky au 20ème siècle. S'il est effectivement l'un des pionniers du mouvement, il amorce cette rupture en concomitance avec les peintres abstraits Kazimir Malevitch, Piet Mondrian et František Kupka. 

Kandinsky va établir les fondements de la peinture abstraite à travers ses écrits autant que ses tableaux. En 1910 il publie son essai « Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier» dans lequel il va faire l'apologie de la portée symbolique de chacun des éléments d'une toile, permettant d'atteindre la dimension spirituelle présente en art. Cette même année, il dévoile sa première œuvre abstraite intitulée « aquarelle abstraite ». La peinture abstraite est né, il transperce la figuration pour atteindre directement le sensible sans passer par l'identification des formes. 

Plusieurs sous-courants vont alors émaner. C'est ainsi que le peintre abstrait Kazimir Malevitch va s'illustrer par son désormais mythique « Carré noir sur fond blanc » en 1915, suivi de son « Carré blanc sur fond blanc » en 1918. L'artiste parle ici de suprématisme. Il voit la peinture comme un ensemble de forces autonomes évoluant les unes par rapport aux autres sur le support en quête d'un équilibre. L'abstraction peut également devenir lyrique quand elle s'accorde en musique. Le « Tableau avec l'Arc noir » du peintre abstrait Kandinsky en est le parfait exemple. Peint en 1912 en grand format, on l'identifie comme étant l'œuvre qui a définitivement sonné l'avènement d'une nouvelle ère dans l'histoire de l'art--la peinture abstraite.

Au-delà de ses recherches sur la composition entre les formes et les couleurs, Kandinsky est atteint de synesthésie. Une anecdote, qui pourrait pourtant être un élément déclencheur pour l'artiste peintre, qui va faire de cette particularité un nouveau langage. Ses sens s'entremêlent, métamorphosant le son en formes et en couleurs. Le rapport aux couleurs de Kandinsky dépasse de loin l'esthétisme, il est intrinsèque à sa vision du monde. Dans ce tableau abstrait, chaque couleur entre dans une mise en scène bien précise et dispose d'une abondante charge symbolique. Tel un orchestre transposé sur une surface plane, Kandinsky nous donne à voir un opéra de Wagner dans cette œuvre abstraite.

En parallèle et en opposition à l'abstraction lyrique, se positionne l'abstraction géométrique, qui résume cette première à du « paysagisme abstrait ». Comme le sous-entend son nom, cette nouvelle abstraction va être à la recherche d'une épuration totale de la toile aux travers des formes géométriques. Lignes, carrés, triangles, et ronds se répondent en couleurs et en aplats sur un espace bidimensionnel. Le peintre abstrait Kupka va incarner cette tendance, ne souhaitant pourtant pas s'y rattacher en considérant la peinture comme un art tout ce qu'il y a de plus concret. À ses côtés, le peintre abstrait Piet Mondrian va finir d'établir l'abstraction géométrique. Allongeant les formes et les rectangles, il va vouer un véritable culte à l'angle droit et construire ses tableaux autour d'une trame orthogonale, le tout dans une optique d'économie de moyen.

Enfin, on pourra noter l'impact des peintres abstraits Robert et Sonia Delaunay dans l'évolution de l'abstraction. Multipliant les cercles et les enchevêtrements de couleurs, ils séduisent le critique et le poète Apollinaire qui va définir leur art d'orphisme. Une appellation qui fait référence au personnage mythologique Orphée, ainsi qu'au titre d'un de ses poèmes, évoquant pour Apollinaire le « langage lumineux » présent dans leurs travaux. En ce sens, l'orphisme se rapproche davantage d'un pan de l'abstraction lyrique que géométrique. 

Bien qu'elle soit une réelle rupture avec ce qui la précède, cette révolution artistique qu'est l'art abstrait, n'est que la suite logique du processus déjà engagé par les artistes antérieurs. Le fauvisme a notamment permis au début du siècle d'engager des recherches sur l'utilisation et le pouvoir des couleurs, tandis que le cubisme a amorcé les premières déconstructions des formes tout en jouant sur le terrain de la géométrie. De la même manière, l'expressionnisme allemand débuté en 1905 a propagé une idéologie neuve relative à l'art, valorisant une émotion indépendante, détachée de la réalité du monde.

C'est avec l'abstraction que la peinture moderne touche à son apogée et à son épanouissement. En ne prenant plus appui sur un sujet perceptible, limité, une frontière se brise, permettant ainsi au peintre abstrait d'exprimer un langage universel. La peinture abstraite s'est amplement diffusée depuis lors et trouve aujourd'hui toute sa consistance dans la pensée contemporaine.