Agnès Godard

Depuis 30 ans, la chef-opératrice et photographe Agnès Godard exerce son regard et sa sensibilité unique dans le cinéma. Sa passion pour les images l'a finalement entraînée de la photographie cinématographique à la photographie artistique. Rencontrez avec Artsper cette grande dame du cinéma, qui revient sur sa carrière, sa première série de photos personnelles et ses plus grandes influences artistiques !

1. Bonjour Agnès ! Vous avez commencé votre carrière dans le journalisme, avant de vous tourner vers le cinéma, en tant que chef-opératrice et directrice de la photographie. Qu'est-ce qui a motivé ce choix ? D'où vous vient cette passion pour le cinéma et la fabrique d'images ?

Bonjour ! Alors, j'ai effectué un détour avant d'aller étudier à l'IDHEC (ex FEMIS), car ma famille avait nourri d'autres projets pour moi dans la suite de mes frères. Cependant, à son insu, mon père m'a donné le goût des images. Tout en exerçant la profession de vétérinaire, il avait inclus la photographie dans son mode de vie. À sa mort, il y a 40 ans, j'ai rassemblé quelque 5000 clichés.

2. Vous êtes également photographe et avez exposé votre première série « My Favorite Dance » à la Galerie Cinéma en 2015, qu'est-ce qui vous a donné envie de vous lancer ?

Être directrice de la Photographie, c'est travailler avec un.e réalisateur.trice sur son projet : accompagner, interpréter, se fondre dans l'imaginaire de l'autre. Avec « My Favorite Dance », j'ai eu envie de partir, non pas d'un projet existant, mais de ma propre « fantaisie ».

J'ai eu la chance que ce travail séduise assez Anne-Dominique Toussaint pour en faire une exposition dans sa galerie, la Galerie Cinéma, le lieu idéal.

À gauche : L'exposition « My Favorite Dance » d'Agnès Godard / À droite : La Galerie Cinéma

3. Qu'est-ce qui vous a inspiré cette série ? Comment l'avez-vous réalisée ?

J'ai découvert, en travaillant auprès d'Henri Alekan, les dessins et surtout les aquarelles de Rodin. Je les trouvais splendides : des images à la fois inventées et réelles, si furtives qu'il semblait impossible de les voir à l'œil nu, qu'elles ne pouvaient qu'être peintes.

J'ai eu envie de trouver comment les fabriquer, les saisir, les rendre visibles à partir d'un appareil de prises de vues.

4. Après avoir traduit pendant 30 ans la pensée des cinéastes, vous dévoilez désormais votre propre regard. Comment vos expériences passées ont-elles influencé votre propre expression artistique ?

Au fond, c'est un prolongement de mon métier. Du reste pour réaliser ces images j'ai procédé comme pour un film. J'ai écrit les enjeux d'une situation de couple, choisi des acteurs (Emmanuelle Bercot et Stéphane Bouquet), filmé et monté les images.

Au bout de ce cheminement, j'ai reconnu dans certains photogrammes ce que je cherchais.

À gauche : Agnès Godard, Anne-Dominique Toussaint et Stéphane Bouquet / À droite : Agnès Godard et Emmanuelle Bercot

5. D'ailleurs, quels artistes vous inspirent tout particulièrement ?

S'il s'agit de cinéastes, elle est si exhaustive… cela va des frères Lumière à David Lynch si je puis dire… je ne peux pas faire une liste, je vais en oublier !

Par contre, je peux citer Alberto Giacometti. J'ai une admiration sans bornes pour ses sculptures dont on ne sait pas si elles viennent de « naître » ou si elles ont été exhumées, tout comme je suis transie par les mots de Faulkner qui rendent palpable l'existence de ses personnages. 

6. Vous avez une patte unique, reconnaissable tant par la texture que la sensualité que dégagent vos images. Comment expliquez-vous ce grain si particulier ? 

Un travail est un mélange de conviction, de technique, d'intuition et de doute, autrement dit cela ne laisse guère de place à une explication. 

Je sais juste que le procédé photographique a toujours eu un impact sur moi. L'effet produit, que les images soient fixes ou en mouvement, me ramène sans cesse au mystère de l'existence. Cette pensée est insatiable.

7. Enfin, si vous deviez citer un film sur lequel vous avez travaillé et qui vous a particulièrement marquée, lequel choisiriez-vous ? Pourquoi ?

Difficile de faire un choix, chaque film est unique.

Cependant le souvenir de « Beau Travail » de Claire Denis reste le plus marquant pour son audace et sa spiritualité. Nous avons filmé sans jamais voir les images que nous faisions. Cela nous a invitées à oser, c'est le fruit d'une expérience collective qui est allée très haut, sans le savoir au moment présent.